Linky et la Cour des Comptes

, par ALCS, Nadette

Linky : Synthèse cour des comptes février 2018

Les compteurs communicants Linky : tirer pour les consommateurs
tous les bénéfices d’un investissement coûteux (?)

I Presentation
II - Un dispositif coûteux pour le consommateur mais avantageux
pour Enedis

III - Mettre le consommateur au centre du dispositif
IV - Une analyse trés interessante de nos voisins Basques site Linkyrikez

_____________________PRÉSENTATION_____________________
La consommation électrique des particuliers et des professionnels alimentés en basse tension avec une puissance inférieure à 36 kVA est mesurée par 39 millions de compteurs électriques, dont la relève semestrielle nécessite une intervention humaine et en conséquence la présence de l’usager, dès lors que le relevé nécessite d’accéder au logement ou au local.
L’absence d’automatisation de ces opérations peut conduire à des erreurs de facturation qui constituent une part prépondérante des réclamations des usagers. De plus, le manque d’informations disponibles ne permet pas à l’usager de connaître sa consommation détaillée.
Le dispositif de comptage de l’électricité demande donc d’être modernisé pour s’affranchir de ces limites : c’est l’objet du programme Linky, mis en œuvre par Enedis (ex-ERDF, filiale à 100 % d’EDF) qui gère 95 % du parc de compteurs basse tension, et des programmes de compteurs communicants des autres distributeurs. Cette modernisation nécessite le remplacement de l’ensemble des compteurs électriques et représente un investissement total de près de 5,7 Md€ en euros courants.
Le contrôle de la Cour a porté essentiellement sur le programme Linky. Il a consisté à examiner les objectifs du nouveau système et à analyser les modalités de remplacement des compteurs électriques (I), à contrôler le coût et le financement des opérations (II) et enfin à évaluer le risque que les objectifs, tels qu’ils ont été fixés, ne soient pas atteints (III).


II Un dispositif coûteux pour le consommateur mais avantageux pour Enedis


A - Un coût effectif total de 5,7 Md€

Le coût, ramené au compteur, est de 130 €.
Au total, le coût de la mise en œuvre des compteurs communicants, telle que définie par la règlementation, peut être estimé à près de 5,7 Md€ courants.


B - Des conditions avantageuses pour Enedis, un financement assuré par les usagers

1 - Un différé tarifaire au coût excessif > un « coup » financier pour Enedis

Le différé constitue donc une avance faite par Enedis, remboursée par les consommateurs à partir de 2021. Le taux d’intérêt de cette avance est de 4,6 %. Or le coût moyen du différé serait pour Enedis de 1,8 %, soit une marge de 2,8 % correspondant à un surcoût pour les usagers de 506 M€ en euros courants sur la période 2014-2031.
M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie … avait annoncé en 2011 que le déploiement des compteurs communicants serait gratuit pour le consommateur.


2 - Le financement du projet et les incitations généreuses prévues

Au total, si Enedis respecte en 2019 les coûts, les délais (de déploiement) et les niveaux de performance, sa rémunération globale s’élèvera, en prenant en compte l’ensemble des incitations, entre 10,3 % et 11 % de la valeur actualisée nette des actifs. En cas de dérive importante, Enedis est assurée d’avoir une rémunération d’au moins 5,25 %.


III - Mettre le consommateur au centre du dispositif

A - Seuls les gains au niveau des consommateurs justifient économiquement le projet


1 - Une rentabilité économique médiocre sur le seul périmètre de la distribution

Même si Enedis a procédé à des essais de vieillissement sur les compteurs Linky, il subsiste néanmoins un risque que leur durée de vie soit inférieure à la durée retenue pour les calculs économiques (20 ans). De plus, l’intégralité des coûts des systèmes d’information n’a pas été prise en compte. Ils pourraient conduire à majorer les investissements de 0,3 Md€ environ. Enfin, la perspective de réaliser tous les gains prévus (fraudes, etc.) n’est pas certaine.
Ainsi, au total, le bilan économique du programme pourrait être, pour le périmètre de la distribution, légèrement négatif (compris entre 0 et -0,2 Md€ sur la période 2014-2034).
Le projet ne peut donc être justifié que par ses externalités.


2 - Un projet pouvant être justifié par l’amélioration de la maîtrise de la demande d’énergie et de la concurrence

S’agissant de la production, le gain s’élèverait à 1,3 Md€ + 0,8 Md€ 2010 entre économies sur les investissements (maîtrise de demande de pointe par l’effacement) et lissage des pics de demande permettant d’éviter des surcoûts (achat sur le marché de gros).
Au niveau de l’usager, le gain serait de 9,2 Md€ 2010 (amélioration de la concurrence, valorisation de la télé-relève et des télé-opérations et baisse de la consommation résultant de la maîtrise de la demande de l’énergie (MDE). Or, concernant la MDE, selon les hypothèses retenues pour les études prospectives, elle pourrait se traduire par des pertes.


B - Les défauts de pilotage et les craintes des consommateurs

Le pilotage global demande à être amélioré pour que les potentialités des compteurs soient pleinement exploitées, notamment au bénéfice des consommateurs, ce qui contribuera à relativiser leurs craintes relevant de considérations d’ordre sanitaire ou portant sur la protection de leur vie privée.

1 - Un pilotage insuffisant par les pouvoirs publics

L’organisation, telle qu’elle est définie, privilégie la satisfaction des besoins du distributeur mais ne prend finalement en compte que partiellement les attentes de l’usager (cf. ci-après) : si Linky
peut apporter beaucoup aux différents acteurs, les préoccupations du consommateur d’électricité ne semblent toutefois pas être au cœur du dispositif.


2 - Des oppositions au déploiement résultant des craintes en matière sanitaire et sur le plan de la protection des données individuelles

Les conclusions de l’étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail (Anses) vont dans le sens d’une très faible probabilité que l’exposition aux champs électromagnétiques émis, aussi bien pour les compteurs communicants radioélectriques que pour les autres (CPL), puisse engendrer des effets sanitaires à court ou long terme.
Les recommandations en matière de protection des données collectées par les compteurs communicants ont été prises en compte en dernier lieu dans le décret du 10 mai 2017 qui précise les modalités de mise à disposition des données de comptage à des tiers avec l’accord de l’usager concerné.
Le caractère tardif de l’étude, s’agissant des questions d’ordre sanitaire, ou le déficit de communication, s’agissant des questions de protection de données, font que les assurances apportées par l’Anses et par les dispositions prises par la CNIL n’ont pas été suffisamment entendues par le public. Des arrêtés municipaux interdisant le déploiement de Linky ont ainsi été pris et Enedis doit faire face à des refus individuels de pose, arrêtés municipaux et refus de pose souvent médiatisés. Ces actions ont cependant un impact limité, puisqu’elles n’ont conduit à ne pas poser moins de 0,6 % des 6,1 millions de compteurs dont l’installation était prévue entre décembre 2015 et septembre 2017.


C - En tirer tous les bénéfices

1 - Développer les actions de maîtrise de la demande d’énergie

La connaissance par l’usager de sa consommation d’électricité à un pas de temps suffisamment court (au regard du pas semestriel actuel) constitue un prérequis à la mise en place de toute action de MDE
à un niveau individuel. Le seul fait de connaître sa consommation d’électricité de façon détaillée conduit à la diminuer…

a) Permettre à l’usager de connaître sa consommation détaillée

Le dispositif Linky peut contribuer à améliorer cette connaissance. Mais le compteur lui-même ne fournit, par lecture directe que très peu d’informations : il ne permet d’obtenir comme données de consommation que l’index de consommation, la puissance apparente et la puissance maximale du jour.
D’autres moyens doivent donc être mis en œuvre pour disposer de données de consommation plus complètes. Le premier moyen est la facture d’électricité envoyée à l’usager (dont le coût pourrait annihiler les effets des baisses de consommation).
Actuellement, les fournisseurs envisagent seulement de communiquer mensuellement aux usagers leur consommation par messagerie électronique (inefficace du point de vue de la MDE). La mise en place d’un afficheur déporté donnant en temps réel des données de consommation présentées en euros est obligatoire et gratuite pour les consommateurs précaires. Mais le déploiement de ce matériel n’est pas prévu (sa conception ne peut être entamée sans connaître le niveau de financement …). Le choix de la cible fixée pour sa diffusion (les consommateurs précaires) n’a pas fait l’objet d’étude et aucune expérimentation n’a été réalisée, alors que le coût du dispositif est estimé à 100 M€. Le troisième moyen est constitué des différents portails internet, qui restituent à l’usager les informations envoyées par son compteur, notamment les consommations journalières. Mais ils souffrent de deux faiblesses : malgré les actions de communication du distributeur, le taux d’ouverture de compte par les usagers disposant d’un compteur Linky est particulièrement peu élevé (1,5 %). Deuxièmement, l’information de consommation mise à disposition de l’usager n’est jamais valorisée en euros (le distributeur ne connait pas les conditions tarifaires faites par le fournisseur à l’usager). Ainsi, les moyens mis en place pour permettre à l’usager de connaître sa consommation détaillée, préalable à tout action de maîtrise de la demande d’énergie, sont insatisfaisants.

b) Mettre à disposition de l’usager sa courbe de charge.

La fonctionnalité permettant au compteur Linky d’enregistrer la courbe de charge n’est pas opérationnelle. Si l’usager n’a pas demandé au préalable la transmission des informations de la courbe de charge au système central d’Enedis, il ne pourra pas disposer avant un an des informations nécessaires à un audit énergétique de son logement ou une comparaison des offres des fournisseurs. Lorsque la fonctionnalité d’enregistrement sera disponible, la mémoire des compteurs ne permettra d’enregistrer la consommation au pas horaire que sur une durée de quatre ou cinq mois (Enedis n’a pas pris les dispositions pour augmenter cette capacité).
Les conditions d’enregistrement de la courbe de charge sont donc telles que, dans l’état actuel du dispositif, l’usager ne pourra pas disposer des informations attendues s’il n’a pas anticipé sa demande.


2 - Contribuer à maîtriser la demande de pointe

Linky permet l’activation de l’effacement avec un délai de réaction, c’est-à-dire un délai entre la décision de procéder à l’effacement et la mise hors tension de certains équipements en aval des compteurs, de six heures.
Ce délai étant trop long, il existe un risque que les opérateurs d’effacement (tels que les fournisseurs de box énergie et de systèmes de pilotage des installations électriques) utilisent des équipements qui leur seraient propres. Bref, que Linky ne soit ainsi pas exploité pour l’effacement. Si tel était le cas, l’investissement en compteurs communicants ne contribuerait pas au développement de l’effacement.


3 - Développer la concurrence entre fournisseurs d’électricité

La possibilité de définir plusieurs index, et donc de créer des plages tarifaires plus nombreuses que celles existant jusqu’à présent, permet aux fournisseurs de proposer de nouvelles offres. Le signal prix de ces nouvelles offres contribue à maîtriser la demande électrique dans le temps, comme les compteurs heures pleines / heures creuses le font déjà. Le développement de ces offres est encore limité, même si les deux principaux fournisseurs commercialisent une offre utilisant les fonctionnalités de Linky.


CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Le programme Linky est en cours de déploiement et les objectifs de délais et de coûts, tels qu’ils avaient été définis en 2014, devraient être atteints. Le projet doit cependant faire face à des oppositions portant sur les aspects sanitaires et sur la protection des données individuelles, sujets maîtrisés mais auxquels l’ensemble des acteurs doit continuer à apporter une attention soutenue.
Néanmoins, l’analyse bénéfices-coût au niveau de la distribution ne peut à elle seule justifier économiquement le projet et, en l’état actuel des travaux, le système n’apportera pas les bénéfices annoncés en ce qui concerne la maîtrise de la demande d’énergie. Il convient donc que l’État pilote effectivement les actions permettant de valoriser les contributions de Linky à la maîtrise de la demande d’énergie, en commençant par une meilleure information des usagers sur leur consommation, et que les apports du dispositif en matière de gestion du réseau de distribution électrique soient maximisés.
Enfin, les conditions de rémunération d’Enedis sont généreuses et devraient être revues.

Rapport public annuel 2018 – février 2018
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes

IV - Une analyse de nos voisins Basques (site Linkyrikez)

Où vous trouverez les combines du “différé tarifaire” qui permettront à Enedis de se rembourser de sa dépense (en dépit du "vous ne paierez rien") et de bénéficier en outre d’une prime conséquente toujours à vos dépends.