Conférence sur le marché de l’électricité

, par Nadette

Source :

Avant les années 2000, le service public de l’électricité était assuré quasi exclusivement par EDF : la production (nucléaire, hydraulique, thermique), le transport haute tension par RTE, la distribution basse tension par ENEDIS, la facturation par EDF. RTE et ENEDIS faisaient et font encore...

Le Merle Moqueur à Mont de Marsan

Avant les années 2000, le service public de l’électricité était assuré quasi exclusivement par EDF : la production (nucléaire, hydraulique, thermique), le transport haute tension par RTE, la distribution basse tension par ENEDIS, la facturation par EDF. RTE et ENEDIS faisaient et font encore partie du groupe EDF et sont donc toujours publics.

« ECLAIRONS NOTRE LANTERNE » COMPRENDRE LE MARCHE EUROPEEN DE L’ELECTRICITE

La directive européenne sur la mise en place de la concurrence sur le marché de l’électricité - 1996, l’arrivée de nouveaux producteurs dans le renouvelable ou le thermique, la privatisation d’une partie des barrages, l’ouverture massive des frontières aux électrons, etc. ont conduit à la réorganisation du secteur.
Sans rentrer dans le débat sur le choix des filières, l’objectif du service public de l’électricité : « vendre l’électricité aux usagers à prix coûtant et au même prix sur tout le territoire », est devenu : « permettre aux consommateurs de changer de fournisseur pour faire baisser les factures ».
Comme chacun le sait, c’est l’inverse qui s’est produit. Pourquoi ?

https://lagedefaire-lejournal.fr/le-cout-de-lelectricite-explique-aux-enfants

Un article de « L’âge de faire » d’octobre 2022 dresse le tableau de l’aberration des conséquences de la crise du gaz dès fin 2021. On comprend bien qu’il y a des gagnants et des perdants, mais on ne comprend pas pourquoi une crise des prix du gaz impacte aussi lourdement les prix de l’électricité surtout dans un pays où sa part dans la production électrique est faible (13,7% en 2022, 6,1% en 2023).

MISE EN PLACE DU MARCHE EUROPEN DE L’ELECTRICITE

Depuis les années 2000, une « révolution conceptuelle » du secteur électrique s’est opérée sans que chacun en ait pris vraiment la mesure. Cette révolution concerne essentiellement le domaine de la commercialisation de l’électricité, mais elle a également des impacts sur l’exportation. Dans la nouvelle organisation, une grande part de l’électricité produite en France (publique et privée) est vendue sur le marché, dont une partie en bourse. C’est elle, la bourse, qui fixe les prix de gros de l’électricité. La même organisation est en place dans tous les pays de l’UE. Désormais les états n’ont plus la main, ou à la marge, sur le prix du kWh.
Au début, l’incidence de cette réorganisation a été faible sur les factures des consommateurs restés aux tarifs réglementés de vente (TRVe/ancien tarif bleu) ou ceux passés à la concurrence à travers des offres de marché de fournisseurs « alternatifs ».
Pour rappel, ces fournisseurs « alternatifs » sont de purs commerçants qui achètent des quantités d’électricité sur le marché de gros et les revendent à des clients en composant des offres à prix fixe ou non. Tous les consommateurs de plus de 36 kVa sont obligés de passer par des offres de marché, ce qui inclut de nombreux artisans et TPE. En 2021, la part des offres de marché représente 70% de la consommation (30% pour les tarifs réglementés).
Nombre d’activités menées par les fournisseurs se traduisent par des surcoûts pour le système électrique : irruption de commerciaux, courtiers, traders, duplication des systèmes de facturation, coûts de transaction liés à la contractualisation des échanges, etc. Ces surcoûts sont bien évidemment facturés au consommateur final.

HAUSSE DES TARIFS DE L’ELECTRICITE

En 2022, tous les consommateurs, publics ou privés, ont été concernés par les hausses de tarif de l’électricité, y compris ceux aux tarifs réglementés de vente (TRVe) qui sont indexés sur les prix boursiers.
Les producteurs et les fournisseurs d’électricité ont fait des super profits. En 2023, la Cour des comptes chiffrait la marge des énergéticiens à plus de 42 milliards d’euros, soit plus que le coût de production de l’électricité. Par contre, les consommateurs, dont beaucoup de petites entreprises, ont souffert et souffrent encore, piégés par leurs fournisseurs (faiblement inquiétés après la crise).
Aujourd’hui, les médias annoncent que les prix de l’électricité sont redevenus normaux et que la crise est derrière nous. L’Europe a mesuré les dégâts, mis quelques rustines à droite, à gauche.... et le prix du gaz a baissé. Ouf ! Mais avec quelles conséquences et pour combien de temps ?

POURQUOI LE PRIX DU GAZ A-T-IL TELLEMENT D’ IMPACT
SUR CELUI DE L’ELECTRICITE ?

Qu’est-ce-que le prix du gaz vient faire dans cette histoire puisqu’il ne représentait que 13,7% du mix de production en France en 2022 ? D’ailleurs si l’électricité n’était pas passée par la bourse, elle aurait augmenté de 4% dans la période de la crise.

●●● Algorithme boursier ●●●

Une première réponse est dans l’algorithme boursier qui s’impose au marché européen. Selon que la demande d’électricité soit forte ou faible, ou que l’offre d’électricité soit forte ou faible, les prix augmentent ou baissent, comme sur un marché de matières premières. C’est le 1er élément qui explique l’augmentation des prix sur la période 2022/2023 lorsque se sont cumulées rareté du gaz et baisse de la production nucléaire du fait de l’indisponibilité de beaucoup centrales nucléaires en 2022.

●●● « La règle du coût marginal » ou la créativité
de la technocratie européenne ●●●

Le 2ème élément de la réponse relève de la créativité de la technocratie européenne qui a aligné le prix de référence de l’électricité du marché boursier sur le coût de production de la dernière centrale appelée sur le réseau pour assurer le mix de production. C’est la « règle du coût marginal ». Un mix de production, c’est l’ensemble des unités de production qui assurent à tout moment l’équilibre du réseau électrique en fonction de la demande des consommateurs (l’électricité ne se stocke pas, ou faiblement). Pour assurer le mix de production, une bonne initiative européenne a été d’établir une règle d’appel des centrales sur le réseau en fonction de leurs coûts de production, de la moins chère à la plus chère, ce qui revient à appeler les moyens renouvelables avant le nucléaire et le thermique. Selon les heures de la journée, la composition de ce mix évolue. Les centrales au gaz sont facilement pilotables et assurent l’équilibre du réseau en périodes de pointe, voire plus en cas d’insuffisance de la production. En 2022/2023, quand le prix du gaz est multiplié par 10, les prix de l’électricité s’envolent. Des offres professionnelles d’électricité grimpent d’un facteur 10 !
En 2024, alors que la crise est derrière nous, les prix de l’électricité restent hauts : « Le ministre de l’Économie a annoncé (en pleine campagne électorale) un gel des prix pour août, puis une baisse des tarifs. Cette dernière n’aura pas lieu avant début 2025. La facture annuelle moyenne aujourd’hui [aux tarifs réglementés de vente - TRVe] est supérieure de 42 % à celle de janvier 2022 » (Que Choisir juillet 2024). Quant aux prix de vente de l’électricité aux clients professionnels, « ils reculeraient de 15 % en 2024, mais resteraient supérieurs de 67 % à leur niveau de 2021 » (INSEE mai 2024).

●●● Les finances publiques au secours d’un système absurde ●●●

La mise en place par le gouvernement d’un bouclier tarifaire a tranquillisé la population mais n’a pas suffi à couvrir les surcoûts, en particuliers chez les clients professionnels. De plus, ce sont nos impôts qui le financent et qui ont donc contribué à financer les super profits des producteurs et fournisseurs !!! D’après la cour des compte, le bouclier tarifaire énergétique a coûté 72 milliards d’euros aux finances publiques, 44 milliards d’euros rien que pour l’électricité... Pour rappel, la cour des compte évalue la marge des énergéticiens à plus de 42 milliards d’euros.

SORTIR DU MARCHE EUROPEEN DE L’ELECTRICITE ?
CE SERA NON POUR CETTE FOIS-CI...

L’Europe entière s’est retrouvée dans l’impasse avec de graves impacts, en particulier sur l’économie française (seules l’Espagne et le Portugal ont plafonné le prix du gaz). Même le ministre de l’économie parlait de sortir du marché européen de l’électricité ! La flamme s’est rapidement éteinte et une « réformette » du marché européen de l’électricité a été votée par le parlement européen le 11 avril 2024.
L’usine à gaz du marché électrique européen fuit de partout. Alors on y colle quelques rustines sans revenir sur le concept du marché boursier et la spéculation sur le prix des électrons. Le service public continue à produire la plus grande part de la production électrique dans des installations que les citoyens ont financé, mais cette production est livrée à la spéculation par l’intermédiaire d’un marché boursier. Le prix final n’a jamais à voir avec les véritables coûts de production.
Cette organisation n’est pas remise en cause, ni l’établissement du prix de l’électricité sur le prix du gaz.

ALORS, QU’EST-CE QUI VA CHANGER ?

Dans le monde libéral, la puissance publique ne se donne pas les moyens d’investir. C’est le rôle des entreprises. Et c’est l’esprit du Marché Européen de l’Électricité : stimuler l’investissement dans des moyens de production. Or les prix bas de l’électricité sur le marché jusqu’à la crise, l’imprévisibilité des prix de l’électricité, et l’importance des investissements pour les producteurs, ont fait qu’elles n’ont pas répondu à l’appel. On va donc encourager les entreprises à investir par l’intermédiaire de CFD (contrat pour différence) qui fixent un prix d’achat minimum garanti pour les producteurs d’électricité. Si le prix du marché tombe en dessous d’un prix convenu, l’État intervient et comble la différence. Si le prix est plus élevé, le surplus revient à l’État. Ces contrats dont bénéficiaient les renouvelables sont élargis, sur la demande pressante du gouvernement français, au nucléaire « décarboné », ancien et nouveau ! Décarboné : le mot a remplacé « renouvelable » dans la communication.

Concernant les entreprises, on les oriente vers des PPA, des contrats bilatéraux de droit privé, librement négociés entre deux acteurs privés - un producteur et un consommateur, souvent de grandes entreprises -, de long terme, entre cinq et vingt ans, et fondés sur les conditions de prix de marché sans intervention publique. Les gros acheteurs comme les industriels ne subiront plus les aléas de la bourse et achèteront directement l’électricité à des producteurs, avec le risque d’un système à 2 vitesses : ceux qui pourront choisir les centrales les moins chères et les autres, les consommateurs de base et les petites entreprises qui subiront les aléas du marché.

L’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique : un quart de la production nucléaire vendue aux fournisseurs à prix coûtant) va disparaître en 2025. L’intégralité de la production nucléaire sera vendue sur le marché au prix minimum de 70 euros le MWh (+ 66% d’augmentation par rapport aux 42 euros de l’ARENH) et entraînera fatalement une augmentation des prix. Au-delà d’un certain prix (80 euros ?), EDF devra restituer ses super profits aux consommateurs !!!! Une usine à gaz selon les spécialistes...

Enfin, en cas de nouvelle envolée durable des prix, l’UE prévoit le déclenchement d’une situation de crise au niveau européen permettant aux États d’adopter des mesures de type bouclier tarifaire pour protéger les ménages vulnérables et les entreprises. Encore les finances publiques au secours d’un « système aberrant », selon Bruno Le Maire (24/9/2021).

Dans les faits, l’Europe essaie de stabiliser les prix sans remettre en cause l’origine de l’instabilité du marché de l’électricité : le marché boursier et l’alignement du prix de l’électricité sur celui du gaz.

La directrice générale d’Enercoop disait le 17/3/2024 sur BFM « Cette réforme s’est centrée sur la flambée des prix et donc sur des mesures qui vont essayer de limiter l’impact de la crise des prix mais elle laisse les consommateurs encore soumis aux fluctuations du marché ».

UN SYSTEME ELECTRIQUE SOUHAITABLE

La main invisible du marché est un leurre particulièrement dans le domaine de l’électricité car on ne la stocke pas. On invoque l’interconnexion des lignes électriques aux frontières, l’exigence européenne de maximiser les échanges entre pays (15 % minimum de la production) et donc la nécessité du marché pour gérer ces échanges. Le principe des interconnexions et la solidarité entre pays existaient bien avant la mise en place du marché européen de l’électricité. « Sortir des marchés » signifie renoncer à une libéralisation délétère, non « se déconnecter » pour « revenir à une France isolée », ni même revenir sur l’optimisation des échanges transfrontaliers.
Aujourd’hui, plus personne ne comprend rien aux mécanismes ultra-complexes qui se sont développés pour essayer d’adapter le marché au système électrique. Ce qui interdit tout contrôle démocratique du secteur énergétique.

A notre sens, faire connaître le fonctionnement actuel de ce système est donc une nécessité.

Respecter l’avenir, l’environnement et les consommateurs, selon des règles démocratiques et avec un objectif de sobriété ne pourra se faire sans la mise en place d’un système public d’exploitation du marché de l’électricité.