Le JEFTA est déjà là ! Et le mouvement social ? Un nouvel accord avec le Japon
Ce 6 juillet 2017 marquera une étape dans l’avancée pour l’instant triomphante du libre-échange : l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon, le JEFTA, est désormais politiquement considéré comme fini de négocier – formule alambiquée pour indiquer que les responsables politiques estiment que le plus gros du travail et fait et qu’il ne reste que quelques points techniques à négocier.
Le Japon est la troisième puissance économique du monde pour le PIB nominal et la quatrième pour le PIB à parité de pouvoir d’achat. Il est aussi le quatrième pays exportateur et le sixième pays importateur au monde. Ainsi, lorsque l’UE, première puissance ex-aequo avec les Etats-Unis, passe un accord de libre-échange avec ce pays, ce n’est pas anodin.
Alors que l’exaspération montait contre le TAFTA, la Commission s’était répandu en messages lénifiants sur la transparence qu’elle ne manquerait plus de mettre en œuvre. Promesses de Gascon, le JEFTA est encore plus opaque que les autres : tout ce que nous savons est publié par une Commission qui réajuste ce qu’elle met en ligne après que les fuites aient eu lieu. La dernière en date est due une fois de plus à Greenpeace qui a sorti 205 pages jusqu’ici tenues secrètes.
https://trade-leaks.org/jefta-leaks/
Dépassant toutes les bornes de la décence, Cecilia Malmström, la commissaire au commerce, a expliqué le silence de la Commission par un magnifique : « Je crois que personne ne m’a demandé (des informations sur le JEFTA) ».
Il fallait oser.
Ce que nous savons au terme de la dix-neuvième séance de négociations fin juin est que le JEFTA est fait sur le modèle du CETA : fortes libéralisations, arbitrage, coopération réglementaire.
Libéralisations :comme c’est maintenant systématique, les négociations posent le principe de la liste négative suivant lequel tout les secteurs d’activité qui ne sont pas expressément et entièrement expurgés des négociations sont par principe libéralisables.
Les négociateurs recherchaient et ont obtenu une ouverture du Japon sur la question agricole. L’augmentation des exportations de bœuf est visée, ainsi que celles du vin. Le riz reste protégé par le Japon mais la viande, non.
Concernant le commerce trans-frontières, le commerce électronique fait l’objet d’âpres discussions : les japonais demandent que les données personnelles partagées soient considérées comme des données commerciales librement cessibles. Cela pose la question de la protection des données et du profilage des clients. Actuellement, l’ajustement des prix en fonction de l’historique des achats des clients sur internet n’est pas autorisé en droit de l’UE et les japonais veulent l’obtenir. Comme ils veulent obtenir que les codes sources des programmes informatiques soient protégés par le droit de la propriété intellectuelle. Ainsi, le contrôle des programmes informatiques des transnationales sera plus difficile à opérer (on songe au cas Volkswagen).
Par ailleurs, les japonais veulent un arbitrage désormais qualifié « ancienne manière ». On se souvient que le « règlement des différends investisseurs/ Etat » (ISDS) a été remplacé par le Système de cour sur l’investissement (ICS) dans le CETA. Les changements sont largement cosmétiques et consistent essentiellement à donner des appellations d’apparence judiciaire à ce qui reste un système d’arbitrage : dans l’ICS du CETA il est question de « juge », de « tribunal » – certes, ces juges sont désignés selon la procédure explicitement reprise du CIRDI1 (8-27-14 du CETA) et ceux-ci ne supportent qu’une éthique optionnelle dépourvue de sanction (8-30 du CETA), mais c’est trop pour les japonais qui veulent d’un ISDS classique. Il est vrai que les investisseurs japonais réclament ce système car ils en ont l’habitude. On retrouve souvent des banque japonaises dans le financement de projets désastreux pour l’environnement : actuellement, deux cas d’arbitrage sont pendants contre l’Espagne concernant une réglementation sur l’énergie solaire qui déplaît aux investisseurs japonais qui y voient trop de contraintes.
Par ailleurs, le JEFTA comporte un volet coopération réglementaire avec l’instauration d’une Conseil de la coopération réglementaire. Ce conseil, comme le Forum de coopération réglementaire du CETA, a vocation a proposer un rapprochement des normes dans le but de renforcer la compétitivité des entreprises, la protection de l’environnement, des normes sociales et des consommateurs y étant subordonnée. Ce qui est nouveau avec le JEFTA c’est qu’il est prévu que ce Conseil sera décomposé en conseils sectoriels couvrant la chimie, la pharmacie, les normes des véhicules à moteur et l’agriculture (entre autres), pour une plus grande « efficacité » dans le rapprochement des normes.
Tous les volets de l’accord sont achevés sauf deux : le commerce-électronique et l’arbitrage. Pour des raisons politiques, il est intéressant pour les négociateurs des deux bords de déclarer l’accord achevé politiquement le plus rapidement possible, un peu comme ce qui s’était passé avec le Canada en septembre 2014. Il avait fallu dix-huit mois de « mise en formes juridiques » (en fait de poursuite de négociations « techniques ») mais l’accord avait alors été réputé achevé. Nous sommes à cette phase avec le Japon. Aujourd’hui le texte n’a plus que deux paragraphes « entre crochets », pratique internationale assez hypocrite (mais pratique) consistant à renvoyant ces parties aux négociateurs techniques.
Les représentants du Japan Business Concil in Europe, de Business Europe et son homologue japonais Keidanren semblent satisfaits.
Et le mouvement social ?
On aurait pu penser que les mobilisations considérables contre le TAFTA et le CETA, les pétitions, les critiques sans nombre provenant de milieux très différents auraient du amener la Commission européenne à plus de retenue dans sa politique commerciale. Il n’en est rien. Le JEFTA n’est qu’un parmi la vingtaine d’accords de libre-échange négociés. Cela renseigne sur la nature d’une Union européenne organisée en casemate et programmée pour faire du libéralisme et rien que du libéralisme. Cela devrait servir d’enseignement à ceux et celles, nombreux y compris dans le mouvement social, qui imaginent que l’Union européenne est réformable et qu’elle constitue l’horizon ultime et nécessaire de nos combats. Le mouvement social n’a pas la force de combattre l’un après l’autre tous ces accords, il ne l’a pas eu jusqu’ici et ne l’aura pas demain. Si nous sommes cohérents avec nous mêmes dans nos combats nous devons attaquer le libre-échange comme tel, c’est-à-dire produire une contre-idéologie efficace qui ne se contente pas d’aménagements marginaux au libre-échange, comme la taxe kilométrique ou autre mandat alternatif par exemple.
Frédéric VIALE
PS : déclaration de la commissaire Malmström
https://www.rtbf.be/info/economie/detail_jefta-l-accord-cache-entre-ttip-et-ceta-dont-on-ne-parle-que-maintenant?id=9643366